2.1 Comment créer son syndicat ?
2.1.5 Le régime juridique des unions
Ayant conscience que l’isolement était synonyme de faiblesse, la classe ouvrière éprouva très tôt le besoin de s’unir pour défendre ses droits et ses intérêts professionnels.
Aussi, lorsque la Révolution de 1848, par le biais de l’article 8 de la Constitution du 4 novembre 1848, accorda aux citoyens le droit d’association, le prolétariat, comme le patronat, profitèrent de cette opportunité pour créer des associations professionnelles qui, à partir de 1860 (passage de l’Empire dit autoritaire à l’Empire dit libéral) se regroupèrent en unions, encouragées en cela par l’Empereur : l’union des chambres syndicales ouvrières de France, ou encore la fédération typographique française, pour les ouvriers ; l’union nationale pour le commerce et l’industrie, pour les patrons.
La répression qui suivit la Commune, décapita beaucoup d’associations ouvrières et le couvre-feu fut maintenu jusqu’en 1876.
En dépit de ces difficultés, des chambres syndicales se recréèrent, permettant au mouvement syndical de renaître rapidement, puisque l’on comptait en 1881, 500 chambres syndicales (dont 150 à Paris) groupant 600 000 ouvriers.
Aussi, malgré la réticence des sénateurs, qui redoutaient la puissance des unions de syndicats et voyaient en elles un grave danger social, la loi du 21 mars 1884 fut votée et consacra le fait. Elle fut complétée ultérieurement par la loi du 12 mars 1920.
2.1.5.a - Les conditions de fond
Aujourd’hui, l’article L. 2133-1 du code du Travail stipule que :
"Les syndicats professionnels régulièrement constitués peuvent se concerter pour l'étude et la défense de leurs intérêts matériels et moraux."
L'Union ne fédère que des syndicats
Il découle de ce texte, dont la rédaction résulte des dispositions de la loi n° 73-623 du 10 juillet 1973, qu’une union (de type loi de 1884) ne peut comprendre que des "syndicats professionnels régulièrement constitués".
Dès lors :
- un travailleur ne peut pas adhérer individuellement à une union,
- un syndicat irrégulier rendrait caduque l’union à laquelle il adhérerait.
Il convient cependant de noter que quelques unions, ou structures de type confédéral, sont régies, non pas par les dispositions du code du Travail sur les syndicats, mais par celles de la loi du 1er juillet 1901 sur les associations.
Il en est ainsi, par exemple, du Mouvement des entreprises de France (MEDEF), qui groupe des fédérations d’industries, des unions de syndicats patronaux et des associations régionales interprofessionnelles. Cela tient au fait que les chefs d’entreprise, dans une zone géographique donnée, ne sont pas toujours suffisamment nombreux pour former un syndicat. Dans ces conditions, ils adhèrent directement, et à titre individuel, à une union existante qui, groupant des syndicats et des personnes physiques, ne peut plus être une union de syndicats de la loi de 1884, et se constitue en association de la loi de 1901 (CE, 15 juillet 1958 - Stés Falleur et autres).
La loi du 13 novembre 1982 (art. L. 132-2) a consacré ce fait, puisqu’elle "assimile" "les associations d’employeurs constituées conformément aux dispositions de la loi du 1erjuillet 1901, aux organisations syndicales pour les attributions conférées à celles-ci" en l’occurrence, la négociation des conventions et accords collectifs.
L'Union peut grouper diverses activités
Alors que le syndicat ne peut rassembler que :
"[des] personnes exerçant la même profession, des métiers similaires ou des métiers connexes, concourant à l’établissement de produits déterminés"
ces conditions restrictives ne sont pas exigées pour la constitution d’une union, qui peut dès lors grouper des syndicats relevant de professions différentes.
Cette disposition est fondamentale, puisqu’elle multiplie les possibilités, en permettant à la fois la création d’unions interprofessionnelles horizontales, telles que les unions locales, départementales ou régionales, et celles d’unions professionnelles verticales, comme les fédérations.
Les différents types d'unions
Juridiquement, le terme d’union recouvre toutes les formes de groupement de syndicats.
Pourtant, à interpréter strictement l’article L. 2133-1 du code du Travail, il semblerait que seul le groupement de syndicats primaires fût licite, puisqu’il est écrit :
"Les syndicats professionnels régulièrement constitués..."
ce qui exclurait a priori les groupements d’unions. Mais la pratique et la jurisprudence ont consacré ce fait : "la constitution de la CGT a été régulière, les formalités exigées dans le cadre d’une union ont été observées" (Trib. cor. Bar le Duc 23 décembre 1936).
D’où les différentes formes actuelles des unions.
La confédération
La confédération est la structure la plus complexe, puisqu’elle regroupe, au niveau national, les fédérations verticales, les unions interprofessionnelles horizontales et les syndicats de base qui se réclament de sa tendance.
Les 5 confédérations représentatives de droit au niveau national sont (arrêté du 31 mars 1966) :
- la Confédération générale du travail (CGT) créée en 1895 (La FEN et la FGAF ont quitté la CGT en 1948, pour se tourner vers l’autonomie) ;
- la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC) créée en 1919 ;
- la Confédération générale du travail - Force ouvrière (FO) née en 1948 de la 3escission syndicale de la CGT, après la prise de contrôle de la confédération par les militants de sensibilité communiste.
Les minoritaires, souvent proches de la SFIO, quittèrent la CGT à la fin de l’année 1947, pour créer en avril 1948 la CGT-FO ; - la Confédération française démocratique du travail (CFDT) née en 1964 de la scission syndicale de la CFTC, après que la majorité des congressistes se fût prononcée pour l’abandon de la référence à la morale sociale chrétienne ;
- la Confédération française de l’encadrement - CGC (CFE-CGC) créée en 1944.
Elles détiennent, de par leur organisation, leur implantation, et leur audience, une puissance importante, qui leur confère un rôle essentiel dans la vie sociale et sociétale de notre pays, même si le mouvement syndical a perdu plus de la moitié de ses adhérents, au cours de ces trente dernières années.
Représentatives de droit au niveau national, elles concourent à l’aboutissement des revendications d’une branche professionnelle, au traitement des problèmes inhérents à plusieurs métiers, à la résolution des difficultés spécifiques à l’industrie, au commerce ou à l’agriculture ; cela à tous les niveaux (départemental, régional, national) et dans tous les domaines (salaires, conventions collectives, politique sociale, production, productivité, temps de travail, représentation auprès des pouvoirs publics, etc.).
La bourse du travail
Conçues au milieu du XIXe siècle par Fernand PELLOUTIER, qui leur avait donné pour but l’organisation du marché de la main d’oeuvre, et comme fonction première, celle d’enseignement, les bourses du travail ont été créées par les municipalités d’agglomérations revêtant une certaine importance, et mettaient à la disposition des organisations syndicales, admises dans leurs locaux, les moyens nécessaires à leur fonctionnement.
Constituées dans le cadre municipal, ce sont juridiquement des unions locales interprofessionnelles de syndicats.
La première fut celle de Limoges, et on en dénombrait 14 en 1882 et 74 en 1901. Elles ont aujourd’hui perdu de leur importance.
La bourse du travail de Paris, créée le 5 novembre 1886, jouit, quant à elle, d’un régime spécial, qui en fait un établissement public de caractère municipal.
La fédération
Lorsque plusieurs syndicats de professions similaires ou connexes se groupent dans un même cadre professionnel, ils constituent ce qui est généralement appelé une fédération.
C’est vers cette forme d’organisation que se sont tournés les ouvriers après la répression de la Commune, et la dissolution du cercle de l’union ouvrière de Paris en 1872.
La fédération est une structure verticale :
- par secteur d’activité, pour les organisations ouvrières :
- Fédération de la chapellerie (1879) ;
- Fédération des typographes (1881) ;
- Fédération des mineurs (1883) ;
- Fédération autonome des transports (FAT) ;
- Fédération générale des syndicats de salariés des organisations professionnelles de l’Agriculture (FGSOA).
- par branches, pour les organisations patronales (chimie, bâtiment, métallurgie, textile, ...).
Mais il existe également des fédérations de métiers concernant par exemple les cadres, ou les agents de maîtrise :- Fédération Maîtrise et cadres des chemins de fer et activités annexes (FMC).
- par fonction publique, ministère ou direction générale, pour les fonctionnaires :
- Fédération autonome de la Fonction publique territoriale (FA-FPT) ;
- Fédération autonome de l’Éducation nationale (FAEN) ;
- Fédération autonome Justice (FAJ) ;
- Fédération autonome des syndicats de police (FASP).
L'union géographique ou territoriale
Lorsque des syndicats, de professions différentes, se regroupent dans un cadre géographique déterminé, ils constituent une union (locale, départementale, régionale ou nationale).
L’union géographique est donc une structure horizontale interprofessionnelle qui, connaissant bien les problèmes spécifiques à son entité, permet de mener des actions d’ensemble, hors des corporatismes réducteurs, qui n’auraient pour cadre qu’une seule profession.
2.1.5.b - Les conditions de forme
Le code du Travail soumet les unions aux mêmes règles que celles en vigueur pour les syndicats, puisque l'article L. 2133-2 stipule que :
"Les unions de syndicats sont soumises aux dispositions des articles L. 2131-1, L. 2131-3 à L. 2131-5, L. 2141-1 et L. 2141-2. [concernant l’objet et la constitution des syndicats]"
Cet article précise en outre (alinéa 2) que :
"Elles font connaître le nom et le siège social des syndicats qui les composent."
De plus (alinéa 3) :
"Leurs statuts déterminent les règles selon lesquelles les syndicats adhérents à l'union sont représentés dans le conseil d'administration et dans les assemblées générales."
Cet aspect des choses est particulièrement important pour le bon fonctionnement de l’union, car il permettra de régler, dans de bonnes conditions, les conflits internes qui ne manqueront pas d’apparaître avec le temps.
2.1.5.c - Personnalité et capacité juridique
La loi de 1884 avait accordé la personnalité morale au syndicat, mais pas à l’union de syndicats.
Dès lors, celle-ci n’avait pas la possibilité d’agir en justice, même en défense. Plusieurs bourses du travail ayant été poursuivies en dommages-intérêts, les demandeurs furent déboutés car, n’ayant pas la personnalité morale, ces unions ne pouvaient pas être assignées en justice.
Cette situation a pris fin avec la loi du 12 mars 1920, qui donna aux unions la même capacité juridique qu’aux syndicats.
La personnalité civile (ou juridique)
Aujourd'hui, le code du Travail (art. L. 2133-3) précise que :
"les unions jouissent de tous les droits conférés aux syndicats professionnels..."
et donc, comme l’indique l’article L. 2132-1, elles sont dotées de "la personnalité civile". Elles "ont le droit d’agir en justice" (art. L. 2132-3) et "peuvent, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession qu'[elles] représentent."
Mais le principe de spécialité interdit à une union de se substituer à l’un de ses syndicats membres (CE, 31 mars 1950) et les requêtes de l’union sont rejetées lorsque les décisions incriminées n’intéressent qu’une seule catégorie professionnelle parmi toutes celles représentées dans l’union (CE, 17 octobre 1984).
Aussi, pour que l’action de l’union soit recevable, le préjudice doit avoir été subi par l’ensemble des syndicats (CE, 21 avril 1972), même si l’on constate un infléchissement de la jurisprudence.
La responsabilité civile
L’union est civilement responsable des actes qui lui sont imputables.
Ainsi, une union peut-elle être déclarée responsable du préjudice occasionné à un employeur, à la suite d’une occupation des locaux, par des grévistes interdisant durant plusieurs jours l’accès des ateliers aux salariés non-grévistes, si la preuve de son implication peut-être apportée.
Mais doit-elle être, pour autant, tenue pour responsable du fait de l’un de ses syndicats membres ? Le principe est non.
Ainsi, a été jugé irrecevable la demande en réparation dirigée contre une confédération syndicale pour un tract diffamatoire, diffusé par une section syndicale dans un établissement ; cela en l’absence d’une faute personnelle de cette confédération dans l’établissement où ce tract a été diffusé (Paris 14 novembre 1983).
Il en aurait été tout autrement si une union, auteur d’une décision dommageable, l’avait fait exécuter par l’un de ses syndicats membres.
Enfin, la responsabilité des administrateurs d’une union