2.1 Comment créer son syndicat ?
2.1.4 La personnalité et la capacité juridique
La loi de 1884 avait accordé la personnalité civile ou personnalité juridique au syndicat. Ces dispositions ont depuis été reprises par le code du Travail, dont la rédaction actuelle de l'article L. 2132-1 stipule que :
"Les syndicats professionnels sont dotés de la personnalité civile."
qui les contraint à posséder un nom et un siège social, où sera délivrée, le cas échéant, toute assignation.
2.1.4.a - La capacité de contracter
La capacité de contracter permet aux syndicats d’effectuer tous les actes d’administration nécessaires à leur fonctionnement (signer des baux, prêter ou emprunter) à la condition expresse que de tels actes ne soient pas la conséquence, ou n’aboutissent pas, à des opérations à caractère commercial, qui leur sont interdites.
Ainsi, "il peuvent passer des contrats ou conventions avec tous autres syndicats, sociétés ou entreprises", comme le prévoit l’article L. 411-17 du code du Travail.
Pour ce qui est des contrats de location, ils peuvent se prévaloir du droit au maintien dans les lieux, qui est accordé, à toute personne morale "exerçant une activité professionnelle désintéressée", par l’article 8 de la loi du 1er septembre 1948 relative aux rapports des bailleurs et locataires, et par l’article 45 de la loi du 13 juillet 1991 d’orientation pour la ville.
Enfin, les syndicats peuvent engager le personnel administratif ou technique nécessaire à leur bon fonctionnement, et doivent lui appliquer la réglementation de la Sécurité sociale et les dispositions du code du Travail (articles L. 122-33, L. 131-2, L. 231-1, L. 412-11, L. 421-1, L. 431-1).
2.1.4.b - La capacité d'acquérir
Depuis la loi du 12 mars 1920, les syndicats "ont le droit d’acquérir sans autorisation, à titre gratuit ou à titre onéreux, des biens meubles ou immeubles" sans limitation de la composition de l’actif.
Ils peuvent aussi recevoir, sans formalité particulière, des dons et recueillir des legs.
Cette facilité s’oppose à l’attitude restrictive qui caractérise le régime des associations. Mais, afin d’éviter toute saisie éventuelle des biens du syndicat, l’article L. 2132-4 du code du Travail précise que : "Les meubles et immeubles nécessaires aux syndicats professionnels pour leurs réunions, bibliothèques et formations sont insaisissables."
Le législateur a édicté cette disposition afin de garantir l’indépendance du syndicat. Mais, cette mesure n’étant pas d’ordre public, le syndicat peut y renoncer, afin notamment de pouvoir emprunter en donnant des garanties aux prêteurs.
Il peut accepter qu’un bien lui soit transféré à titre d’apport, c’est-à-dire avec droit de reprise au profit de l’apporteur, plutôt que donné ; les donations ne bénéficiant pas d’un régime fiscal privilégié.
Le syndicat peut aussi recevoir des subventions des collectivités publiques, ce qui risque d’entraîner un contrôle financier, en application des textes en vigueur (décrets des 25 juin 1934, 30 octobre 1935 et ordonnance du 23 septembre 1958). Il peut aussi recevoir des rémunérations pour des prestations fournies (location de locaux, intérêts et dividendes de valeurs mobilières, etc.).
"En cas de dissolution volontaire, statutaire ou prononcée par décision de justice, les biens du syndicat sont dévolus conformément aux statuts ou, à défaut de dispositions statutaires, suivant les règles déterminées par l'assemblée générale.
En aucun cas les biens du syndicat ne peuvent être répartis entre les membres adhérents."
(article L. 2131-6 du code du Travail).
2.1.4.c - La capacité d'ester en justice
La capacité d’agir en justice découle directement de la personnalité civile conférée aux syndicats par l'article L. 2132-1 du code du Travail, et l’article L. 2132-3 stipule en outre que :
"Les syndicats professionnels ont le droit d'agir en justice. Ils peuvent, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession qu'ils représentent."
Mais, en vertu du "principe de spécialité", applicable aux seules personnes morales, un syndicat contrairement aux personnes physiques, a son action limitée à son objet, déterminé par ses statuts ; et s’oppose à ce qu’il puisse agir pour la défense d’autres intérêts que ceux qu’il représente.
Cette action déroge cependant au droit commun des associations ; celles-ci n’ayant pas qualité pour défendre en justice les intérêts généraux qu’elles peuvent représenter, et obtenir des dommages-intérêts.
Aussi, à condition de justifier d’un intérêt à agir, un syndicat, qu’il soit ou non représentatif (Cass. crim. 22 novembre 1977), peut ester en justice, soit seul (à titre principal, en vertu d’un droit propre) soit parallèlement à une action engagée :
- Pour la défense de ses biens et droits propres,
- Pour la défense des intérêts professionnels individuels,
- Pour la défense des intérêts collectifs de la profession,
cela devant toutes les juridictions :
- juridictions civiles (action en dommages-intérêts),
- juridictions répressives (dépôt d’une plainte, constitution de partie civile),
- juridictions administratives (recours en annulation contre une mesure réglementaire d’ordre général ou individuel),
- juridictions sociales (assister ou représenter une partie devant les juridictions de Sécurité sociale ou prud'homales).
La représentation du syndicat
C’est le secrétaire général (ou le président) qui représente généralement son organisation en justice.
Mais, à défaut de dispositions statutaires, le syndicat est libre de désigner la personne habilitée à le représenter, et si l’usage veut que ce soit généralement un membre du bureau, il n’existe pourtant aucune obligation en ce domaine : il suffit simplement qu’il soit membre du syndicat.
L’habilitation peut alors être générale, ou spécifique à une affaire donnée, mais le représentant doit être expressément habilité à agir au nom du syndicat, soit statutairement, soit en vertu d’un pouvoir (Cass. soc. 13 mars 1980).
Même lorsque l’action est présentée par un avocat, ou un avoué, un tribunal administratif est fondé à s’assurer que le représentant du syndicat justifie de sa qualité pour engager cette action (CE, avis du 29 novembre 1991).
La défense des biens et des droits
Le syndicat dispose d’une action en justice pour défendre son nom. Ainsi, lorsqu’un syndicat (ou une association) prend un nom susceptible de créer une confusion avec le nom d’un syndicat plus ancien, ce dernier peut assigner devant le tribunal de grande instance l’organisation responsable de cette confusion, afin d’obtenir réparation du dommage.
Il peut aussi défendre son patrimoine (immeubles, baux, prêts), ainsi que le recouvrement des arriérés de cotisation, le respect de ses règles de fonctionnement (modifications statutaires, scission, dissolution, ...) le respect des engagements contractés à son égard, ses droits contre l’un de ses adhérents ou un tiers lui ayant causé un préjudice.
Inversement, il peut être cité en justice et sa responsabilité civile mise en jeu, du fait de ses organes ou de ses préposés (Voir § 34).
La défense des intérêts individuels
Le syndicat peut intervenir dans ce cadre :
- Pour assurer l’exécution d’une convention ou d’un accord collectif art. L. 2262-9 du code du travail),
- Pour faire respecter les droits des travailleurs temporaires (art. L. 1251-59), des travailleurs à domicile (art. L. 7423-2), des travailleurs étrangers (art. L. 8255-1),
- Pour faire respecter l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes, notamment en matière de rémunération (art. L. 1144-2),
- Pour assister ou représenter une partie devant les juridictions prud'homales (art. R. 1453-2 du code du travail) ou de Sécurité sociale (art. R. 142-20 du code de la Sécurité sociale).
La défense des intérêts collectifs
Conformément aux dispositions de l’article L. 411-11 du code du Travail (devenu l'article L. 2132-3) il a été jugé que les syndicats ont qualité pour agir, dès lors que le litige soulève : "une question de principe" susceptible d’avoir des répercutions pour l’ensemble des adhérents et de nature à porter "un préjudice, même indirect, fut-il d’ordre moral, à l’intérêt collectif de la profession"
(Cass. civ. 1er, 22 octobre 1985).
- Le préjudice doit être réel et pas seulement virtuel
(Cass. crim. 20 mai 1972)
Cette nécessité d’un intérêt né et actuel a été rappelée par la chambre sociale de la Cour de Cassation. Ainsi, ne saurait constituer un préjudice, le fait (non contesté par ailleurs) de l’inobservation de la loi, si cette inobservation n’a causé aucun préjudice personnel et certain au syndicat (Cass. 8 mars 1961). - Le préjudice doit être direct ou indirect
Il faut entendre par préjudice direct ou indirect, le caractère que peut prendre le dommage subi par l’intérêt collectif de la profession, au-delà du dommage subi par la victime (Cass. crim. 15 novembre 1983). Il en est ainsi en cas de diffamation de la profession par voie de presse, d’affichage, etc. (préjudice direct) ; mais il n’est pas nécessaire (préjudice indirect) que la totalité des membres ait subi un préjudice personnel, ni d’ailleurs que le syndicat représente la totalité de la profession (Cass. crim. 6 février 1963). Il n’est pas exigé non plus que l’acte préjudiciable à l’intérêt de la profession ait été dirigé contre un membre du syndicat, ce qui permet l’action de tout syndicat représentant la profession, même s’il n’est pas le plus représentatif, et la condamnation à autant de dommages-intérêts distincts qu’il y a de syndicats parties civiles. - Le préjudice doit être matériel ou moral
Il est matériel lorsqu’il y a violation de la réglementation du travail ou exercice illégal de la profession (Cass. crim. 19 mai 1958). Il est moral en cas d’atteinte à la réputation de la profession représentée par le syndicat, ou de mise en cause d’une institution que le syndicat entend défendre; et ce préjudice peut être réparé même s’il a disparu, pourvu qu’il ait existé (Cass. 25 octobre 1961). - Le préjudice doit concerner l’intérêt collectif de la profession
L’intérêt collectif est tout intérêt qui n’est pas propre à un individu ou à plusieurs individus isolés mais concerne un groupe en tant que tel (J-M Verdier).
En exigeant que le préjudice direct ou indirect concerne l’intérêt collectif de la profession, l’article L. 2132-3 du code du Travail exclut à la fois l’intérêt individuel, l’intérêt d’une autre profession, et l’intérêt général (dans ce dernier cas, il incombe au ministère public de poursuivre l’infraction, et l’action syndicale est irrecevable).
Toutefois, ces divers intérêts ne s’excluent pas nécessairement les uns des autres et l’action syndicale est recevable si, en plus de l’intérêt individuel ou de l’intérêt général, l’intérêt collectif de la profession est également atteint (Cass. crim. 19 mai 1967 - 22 janvier 1970).
2.1.4.d - La responsabilité civile
La responsabilité civile du syndicat peut être engagée, dans certaines circonstances, du fait de ses organes (personnes physiques ou instances collectives) ou plus rarement de ses préposés (adhérents ou syndicats primaires).
Mais la responsabilité pénale, bien qu’elle soit à présent admise pour les personnes morales, est exceptionnelle pour les syndicats (menaces contre les non-grévistes, diffamation par voie de presse, action illicite sur le marché). Cependant, les administrateurs du syndicat peuvent voir leur responsabilité personnelle engagée à ce titre.
La responsabilité délictuelle
Conformément au droit applicable à toutes les personnes morales, la responsabilité du syndicat peut être mise en jeu sur les fondements des articles 1382 et 1384 du code Civile, lorsque ce dernier a causé un dommage à autrui.
Depuis quelques années, la question de la responsabilité délictuelle des syndicats est posée essentiellement à l’occasion de faits de grève, et de nombreux employeurs ont intenté des actions en dommages-intérêts à leur encontre, pour obtenir réparation du préjudice subi à cette occasion.
Les principes posés par la Cour de Cassation, sur ce sujet, sont les suivants :
- le syndicat ne peut "être déclaré responsable de plein droit de toutes les conséquences dommageables d’abus commis au cours de celle-ci" (Cass. soc. 9 novembre 1982) ;
- la responsabilité du syndicat peut être engagée lorsqu’il a "effectivement participé à des agissements constitutifs d’infractions pénales, ou à des faits ne pouvant se rattacher à l’exercice normal du droit de grève" (Cass. soc. 9 novembre 1982) ;
- le syndicat ne peut répondre que de fait personnel, sa responsabilité ne pouvant être engagée du seul fait de la qualité de mandataire des délégués syndicaux qui avaient exercé individuellement le droit de grève (Cass. soc. 21 janvier 1987) ;
- la constatation d’un "comportement exclusivement passif" ne suffit pas à caractériser le lien de causalité (Cass. soc. 23 juin 1988) ;
- l’absence de préavis, prévu par l’article L. 521-3 (devenu l'article L. 2512-2) du code du travail, avant le déclenchement d’une grève (dans le secteur public) par le personnel privé ou civil de l’État (visé à l’article L. 521-2, devenu l'article L. 2512-1) "constitue de la part d’un syndicat, une faute de nature à engager sa responsabilité" (Cass. soc. 6 février 1985).
La responsabilité contractuelle
Cette responsabilité peut résulter du non-respect des engagements contractuels, pour lequel le droit commun s’applique.
L’article L. 2262-12 du code du Travail prévoit en effet que "les personnes liées par une convention ou un accord peuvent intenter toute action visant à obtenir l'exécution des engagements contractés et, le cas échéant, des dommages-intérêts contre les autres personnes ou les organisations ou groupements, liés par la convention ou l'accord, qui violeraient à leur égard ces engagements."
Ainsi, la responsabilité d’un syndicat peut être mise en jeu pour avoir ordonné une grève, sans respecter les dispositions prévues, à ce sujet, dans une convention collective (Cass. soc. 6 mai 1960).
D’autre part, l’article L. 2262-4 du code du Travail prévoit en outre que les organisations de salariés et les organisations ou groupements d'employeurs, ou les employeurs pris individuellement, "liés par une convention ou un accord, sont tenus de ne rien faire qui soit de nature à en compromettre l'exécution loyale. Ils ne sont garants de cette exécution que dans la mesure déterminée par la convention ou l'accord".