2.1 Comment créer son syndicat ?
2.1.1 La défense des intérêts professionnels
La défense des intérêts professionnels tient une place importante dans la vie sociale de notre pays. Elle est apparue dès le XIe siècle, lorsque des artisans d’un même métier décidèrent, en s’associant, de s’assurer une liberté collective, afin de se prémunir contre l’arbitraire de leur seigneur, dont ils étaient d’abord les serviteurs, mais aussi et surtout les sujets. Elle se poursuit aujourd'hui avec les syndicats professionnels.
2.1.1.a - Bref rappel historique
La défense des intérêts professionnels est marquée par une lente évolution, entamée dès le Moyen Age avec l’apparition des guildes de marchands puis des corporations de métiers, poursuivie sous la Renaissance avec l’émergence du compagnonnage, pour en arriver en 1791 à l'abolition des corporations et des associations patronales et ouvrières, afin de donner à chacun la possibilité d'exercer librement le métier de son choix.
Les corporations
L’origine des corporations est incertaine, mais elles sont probablement le fait d’artisans d’un même métier désireux, en s’associant, de s’assurer une liberté collective, et de se prémunir contre l’arbitraire de leur seigneur, dont ils étaient d’abord les serviteurs, mais dont ils étaient aussi les sujets.
Profitant de l’accroissement des échanges et de l’expansion commerciale, les guildes de marchands se constituèrent dans toute l'Europe durant le XIe siècle.
Afin de partager les aléas, liés aux voyages pour s'approvisionner, les marchands se regroupaient en convois, pour mieux se défendre en cas d'attaque ou pour mieux s'entraider lors d'un éventuel litige.
Chaque corporation avait l’exercice exclusif "d’une profession indispensable ou dangereuse", c’est à dire qu’elle en détenait le monopole et devait réglementer minutieusement les conditions de travail, et parfois les procédés de fabrication. Elle disposait pour cela d’une administration régulière et était dotée de statuts dont l’exécution était confiée à des commissaires, choisis par les responsables de la corporation : les maîtres. Ces commissaires étaient appelés "syndics" ou "jurés" et leur réunion constituait le "syndicat" ou la "jurande". Ils avaient pouvoir d’inspecter les ateliers, de contrôler la qualité des objets fabriqués et d’opérer, au besoin, la saisie des ouvrages déloyaux.
Peu à peu elles obtinrent de la royauté, soit à prix d’or, soit à titre gracieux, la reconnaissance officielle de leur existence.
En retour du monopole octroyé, elles avaient à cœur de bien remplir leur mission, en surveillant étroitement la production, et en garantissant la qualité des produits fabriqués par leurs membres.
Les corporations de métiers apparurent au XIIe siècle et continuèrent leur développement durant le XIIIe siècle, époque à laquelle on dénombrait une centaine de corps de métier à Paris. Dans le même temps, les guildes de marchands perdaient progressivement de leur influence.
Au début du XIVe siècle, les guildes avaient pratiquement disparu, alors que les corporations étaient devenues très puissantes en France. Mais leur indépendance, de plus en plus marquée à l’égard du pouvoir royal, indisposait la noblesse.
En 1356, le prévôt des marchands Etienne Marcel, n’avait pas hésité à fomenter une insurrection contre le dauphin Charles, et à s’allier avec les anglais contre lui.
Le 27 janvier 1383, le roi Charles VI décida de réaffirmer son autorité sur les corporations et d’en finir avec leur représentant : le prévôt des marchands. Sa charge fut supprimée et ses fonctions transférées au prévôt du roi qui se vit confier la nomination des prud'hommes, en remplacement des maîtres élus par les métiers.
Malgré cela, leur influence ne se démentait guère et de farouches rivalités naissaient entre elles.
Six corps de métier émergèrent au dessus des autres : drapiers, épiciers, pelletiers, mercières, bonnetiers et orfèvres. Après, les mieux formés et les plus prospères accédaient aux responsabilités au sein de la cité.
En 1530, un arrêt du parlement de Paris, en excluant des fonctions de maire, d’échevin et de procureur, les "gens mécaniques" allait marquer une évolution radicale dans la répartition des pouvoirs dans les villes : les corporations de "métiers nobles" tenaient désormais les villes bien en main.
Le compagnonnage
Mais, cette évolution du système engendra sa sclérose. Car, si dans chaque métier on distinguait trois catégories de membres : les maîtres, les compagnons ou valets et les apprentis, un clivage important s’était établi entre les membres de la corporation, les maîtres, et les simples ouvriers ou compagnons.
Les premiers, tenant le pouvoir et la richesse, réussir peu à peu à créer en leur faveur une série de privilèges, et à en écarter les compagnons par la mise en place de conditions multiples et rigoureuses d’accès à la maîtrise, conditions très difficiles à remplir et particulièrement onéreuses. Il fallait notamment avoir eu un apprentissage de longue durée, puis avoir travaillé comme compagnon chez un maître et pouvoir produire enfin un chef d’ oeuvre, c’est à dire une pièce de travail dont l’exécution était censée donner la mesure et la capacité de son auteur.
Pour se soustraire à cette oppression, les compagnons formèrent entre eux, dès le XIVe siècle, des associations qui, sous le nom de "compagnonnage", réunirent les ouvriers d’une même profession, afin de procurer du travail à leurs affiliés et de leur permettre de s’instruire en faisant leur tour de France.
Ce clivage de plus en plus marqué devait déboucher, en mai 1539 à Lyon, sur un important conflit dans la capitale de l’imprimerie. Les patrons ayant pris des mesures tendant à interdire le compagnonnage et à augmenter la durée du travail sans augmenter les salaires, les ouvriers forts de leur nombre et bien déterminés à défendre leurs droits, décidèrent de cesser le travail et créèrent une bourse commune pour s’entraider. Ils allèrent même jusqu'à s’armer afin de mieux faire respecter leurs traditions et résolurent de ne cesser la lutte que lorsqu'ils seraient au moins assurés de l’augmentation de leur salaire en nourriture.
Les corporations, dont l’influence et le nombre allait croissant, puisqu'on en dénombrait plus de 1 500 sous Louis XIV, essayèrent en vain de détruire le compagnonnage, qui subsista malgré toutes les interdictions, mais le plus souvent à l’état de sociétés secrètes, ses membres veillant jalousement à la conservation et à la transmission de la technique du métier.
Les "compagnonnages" sont souvent considérés comme les précurseurs des syndicats professionnels.
La fin des corporations
Le 12 mars 1776, le roi Louis XVI, sur proposition de son ministre Turgot, imposa au parlement l’enregistrement d’un édit décrétant la suppression des corporations. Mais elles furent rétablies le 19 août 1776, après la chute de Turgot, accusé de vouloir détruire l’ordre social.
Les corporations furent définitivement abolies par la loi d'Allarde, votée par l’Assemblée constituante le 17 mars 1791.
Désormais, chaque citoyen pourra exercer librement le métier de son choix, à l’unique condition d’acquitter une taxe, la patente, récemment créée pour les fabricants et les commerçants.
Le 14 juin 1791, cette assemblée adopta la loi Le Chapelier, qui interdisait, au nom de la liberté et en conformité avec la suppression des corporations, les associations tant patronales qu'ouvrières, ainsi que le droit de grève.
2.1.1.b - Reconnaissance des syndicats
Après la loi d'Allarde qui avait aboli les corporations et la loi Le Chapelier qui avait interdit les associations, il n’existait plus de structure juridique pouvant permettre au monde du travail de se regrouper légalement, afin de défendre ses intérêts professionnels.
De la IIème République au Second Empire
Il fallut attendre la Révolution de 1848 et l'abdication de Louis-Philippe pour retrouver, par le biais de l’article 8 de la Constitution du 4 novembre 1848, le droit d’association : opportunité dont profitèrent le prolétariat comme le patronat, pour créer des associations professionnelles.
Avec le coup d'Etat du 2 décembre 1851 et la proclamation du second Empire un an plus tard, on revint dans un premier temps aux interdictions antérieures.
Mais, devant le développement des mécontentements, Napoléon III finit par assouplir sa position à partir de 1860 en rétablissant le droit de grève et en supprimant le délit de coalition (loi du 25 mai 1864), sans pour autant rétablir le droit d'association. Cependant, la relative tolérance des pouvoirs publics envers les associations professionnelles de fait, permit la poursuite de leur développement et elles purent même se regrouper en unions, encouragées en cela par l’Empereur.
La IIIème République
Le désastre de Sedan en septembre 1870 entraîna la chute de Napoléon III, la levée du siège de Paris par les Prussiens et l'insurrection de la Commune de Paris.
L'entrée des troupes dans la capitale et la répression qui suivit la Commune, décapita beaucoup d’associations ouvrières et le couvre feu fut maintenu jusqu'en 1876.
Mais en dépit de ces difficultés, des chambres syndicales se recréèrent, permettant au mouvement syndical de renaître rapidement, puisque l’on comptait en 1881, 500 chambres syndicales (dont 150 à Paris) groupant 600 000 ouvriers.
Malgré ces vicissitudes, c’est la Troisième République qui marqua un tournant décisif dans la lutte pour la reconnaissance des droits des travailleurs, en jetant les bases juridiques des "syndicats professionnels".
C’est le projet de loi du 22 novembre 1880, déposé par le gouvernement, qui devint plus de trois ans après, la loi du 21 mars 1884 sur les syndicats professionnels.
Appelée encore loi Waldeck-Rousseau, du nom du ministre de l’Intérieur de l’époque, qui défendit avec opiniâtreté ce projet (il fut aussi à l’origine de la loi de 1901 sur les associations) ce texte abrogea la loi du 14 juin 1791 et stipulait en son article 3 :
"Les syndicats professionnels ont exclusivement pour objet l’étude et la défense des intérêts économiques, industriels, commerciaux et agricoles"
Cette loi a ensuite été complétée par la loi du 12 mars 1920.
Pourtant, malgré le cadre légal existant, les gouvernements successifs continuaient de refuser ce droit aux fonctionnaires, en raison de la situation particulière de ces derniers, soumis à des obligations spécifiques de service publique.
De la IVème à la Vème République
La IVe République franchit une étape supplémentaire, en donnant valeur constitutionnelle à la « liberté syndicale » puisqu'il est écrit au sixième alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 :
"Tout homme peut défendre ses droits et intérêts par l’action syndicale et adhérer au syndicat de son choix"
Dans le même temps, elle accorda le droit syndical aux fonctionnaires, car le texte relatif au Statut général des fonctionnaires, soumis à l’Assemblée constituante qui le vota à l’unanimité le 5 octobre 1946, prévoyait en son article 6 :
"Le droit syndical est reconnu aux fonctionnaires. ..."
Depuis, la Constitution du 4 octobre 1958, acte fondateur de la Cinquième République, a confirmé le préambule de la Constitution de 1946, qui est donc toujours en vigueur.
Mais l’article 34 de la Constitution réserve à présent au seul Parlement le soin de fixer les règles concernant "les garanties fondamentales accordées aux fonctionnaires civiles et militaires de l’Etat".
Et depuis 1996, il convient de ranger au nombre de ces garanties "le droit syndical" puisque le Conseil d'Etat a, dans un avis, rappelé que le soin de définir les conditions d'exercice de ce droit "n'appartient qu'au législateur" (CE, avis du 26 septembre 1996).