4.2 Fonction publique de l'état
4.2.1 Droit syndical
4.2.1.a - Le long combat des fonctionnaires
La création d'organisations de défense des intérêts professionnels concernait essentiellement le secteur de l'industrie, dans lequel les travailleurs avaient commencé, vers 1860, à se regrouper dans des structures de type syndical.
Les fonctionnaires n'étaient que peu touchés par ce phénomène, hormis les instituteurs qui, dès 1831, avaient créé la société des instituteurs et institutrices primaires de France, suivie en 1868 par la création d'une association des maîtres d'école dans le département du Nord, qui suscita de nouvelles créations dans de nombreux départements.
Dans les autres secteurs ministériels, on peut mentionner, en 1842, la société des facteurs des postes de Paris, et en 1855 une amicale des conducteurs des Ponts et Chaussées. Mais en 1870, leur nombre n’excédait pas la centaine dans le secteur administratif.
Pas de syndicat pour les fonctionnaires
Malgré le cadre légal existant en 1884 pour les salariés, les gouvernements successifs entendaient refuser le droit syndical aux fonctionnaires (en raison de la situation particulière de ces derniers, soumis à des obligations spécifiques de service public) mais aussi à l’ensemble des agents du secteur public, excluant de fait 250 000 agents civils de l’État du champ d'application de la loi.
- En 1884, le syndicat des sous-agents des Postes de Lyon se dissolvait à la demande expresse de l'administration, quelques jours après sa création.
- En 1887, c'était au tour du syndicat des instituteurs et institutrices de la Seine d'être dissous, mais par le gouvernement.
- En 1888, l'amicale des conducteurs des Ponts et Chaussées était elle aussi dissoute par le gouvernement, après avoir demandé une réorganisation de leur corps et la révision de leur pension.
Pourtant, cette logique aboutissait à créer des situations paradoxales. Ainsi, les cheminots des réseaux exploités par des compagnies privées pouvaient être syndiqués, alors que les cheminots des réseaux exploités par l’État ne pouvaient l’être.
C’est à la suite de cette question que s’engagea, le 22 mai 1894 à la Chambre des députés, un débat au terme duquel le Gouvernement de Casimir Perrier fut désavoué et démissionna :
"La Chambre, considérant que la loi de 1884 s’applique aux ouvriers et employés des exploitations de l’État, aussi bien qu’à ceux de l’industrie privée, invite le Gouvernement à la respecter et à en faciliter l’exécution".
L'essor des associations
Si à compter du 22 mai 1894, des syndicats des ouvriers de l’Etat et des collectivités locales purent se créer en grand nombre, il n’en allait pas de même pour les fonctionnaires.
Aussi, des associations catégorielles, sans fondement légal, étaient de temps à autre créées afin de contourner l'interdit, parfois même encouragées par certains ministres, qui souhaitaient contrecarrer la volonté, encore minoritaire de certains fonctionnaires de leur administration, de vouloir se syndiquer.
La promulgation de la loi du 1er juillet 1901, leur reconnaissant à présent la liberté d'association, allait enfin permettre aux fonctionnaires de constituer légalement de nombreuses associations professionnelles.
Ainsi, entre 1901 et 1907, on enregistrera la création de plus de 500 associations dans les services publics, dont près de 90 pour la fonction publique de l'Etat.
Certes, certains responsables d'associations professionnelles ont fait l'objet de mesures disciplinaires lorsqu'ils se montraient trop revendicatifs, comme le président de l'Union générale des contributions indirectes, déplacé d'office après la création de son union en 1903.
Mais en général, les ministres n'étaient pas hostiles à la création d'associations catégorielles, le meilleur moyen, selon eux, de limiter l'implantation des syndicats dans leurs services.
D'ailleurs, dans une circulaire du ministre de l'Intérieur en date du 12 janvier 1903, relative aux syndicats des cantonniers, on pouvait lire :
"Après la loi du 1er juillet 1901, la question de légalité du syndicat paraît avoir perdu la plus grande partie de son intérêt. Aux termes de cette loi, en effet, les citoyens peuvent former entre eux, sans condition de profession, des associations régulières qui, une fois déclarées, présentent à peu près les même avantages que les syndicats professionnels. Il en résulte que le groupement dissous comme syndicat peu librement se reformer comme association. Dans ces conditions, les procureurs généraux ont reçu des instructions les invitant à provoquer la dissolution des syndicats de cantonniers constitués ... et à faire connaître, en même temps, aux administrateurs de ces syndicats qu'il leur est loisible de former valablement une association ...".
La naissance d'un mouvement syndical
L’essor des associations n’empêchait pas la naissance d’un courant favorable à la création de syndicats :
- En 1902, les syndicats d’ouvriers de l’Etat (dont l'existence avait été admise par un vote de la Chambre en 1894) se regroupèrent au sein d’une union fédérative des travailleurs de l’Etat ;
- En 1903, la fédération nationale des travailleurs municipaux et départementaux, récemment constituée, adhérait à la CGT ;
- En 1905, création d’un syndicat des sous-agents des PTT, et de la fédération nationale des instituteurs et institutrices publics de France et des colonies.
Et malgré certains assouplissements accordés aux fonctionnaires en matière de garanties disciplinaires, par l'article 65 de la loi de Finances du 22 avril 1905 qui leur reconnaissait :
le "droit à la communication personnelle et confidentielle de toutes les notes, feuilles signalétiques et tous autres documents composant leur dossier, soit avant d'être l'objet d'une mesure disciplinaire ou d'un déplacement d'office, soit avant d'être retardés dans leur avancement à l'ancienneté",
un Comité central pour la défense du droit syndical des salariés de l'Etat, des départements et des services publics était créé fin 1905.
Il regroupait près de 400 000 membres, avec à sa tête Marius Nègre, de la fédération nationale des syndicats des instituteurs et institutrices.
En octobre 1906, le IXe Congrès de la CGT adoptait la Charte d’Amiens qui déclarait notamment :
le syndicalisme "prépare l’émancipation intégrale qui ne peut se réaliser que par l’appropriation capitalistique ; il préconise, comme moyen d’action, la grève générale et il considère que le syndicat, aujourd'hui mouvement de résistance, sera, dans l’avenir, le groupement de production et de répartition, base de réorganisation sociale".
Ce faisant, la confédération (créée en 1895) marquait sa solidarité avec la classe ouvrière et sa volonté de se placer sur le même terrain et sur le même plan : la transformation sociale.
On était loin du cadre juridique, tracé par la loi du 21 mars 1884 pour les syndicats professionnels !
La répression syndicale
Les juridictions administratives et judiciaires avaient toujours déclaré illégales les organisations syndicales de fonctionnaires. Mais leur rigueur allait franchir un palier en s'étendant aux syndicats d'ouvriers des administrations.
- En 1903, le tribunal correctionnel de la Seine approuvait la dissolution du Syndicat des égoutiers de Paris, malgré le vote favorable de la Chambre des députés le 22 mai 1894 sur ce sujet (Gaz-Trib, 9 juillet 1903).
Fort de cette décision, et afin d’enrayer ce courant syndical qui affichait clairement son positionnement politique, le Gouvernement décida de réprimer ceux qui bravaient l'interdit.
Il enclencha donc contre eux soit des procédures disciplinaires, soit des poursuites pénales, sur le fondement de l'article 125 du code pénal qui condamnait les coalitions de fonctionnaires.
- En 1905, tous les administrateurs du syndicat des instituteurs de la Seine étaient appelés à comparaître.
- En 1907, c’était au tour de ceux du syndicat des instituteurs du Rhône de faire l'objet de poursuites pénales.
- En 1907, Marius Nègre et d'autres dirigeants du Comité central pour la défense du droit syndical des salariés de l'Etat, des départements et des services publics, firent l'objet d'une procédure disciplinaire et furent révoqués.
Cette politique répressive incita plusieurs syndicats d'instituteurs à se transformer en associations, affaiblissant leur fédération nationale, qui choisit de rejoindre la CGT en 1909, où elle retrouva le syndicat national des sous-agents des PTT arrivé lui en 1908.
Dans le même temps, les juridictions tant administratives que judiciaires se montraient favorables aux associations de fonctionnaires, en leur reconnaissant le droit d'ester en justice pour défendre les intérêts collectifs de la profession (CE, 11 décembre 1908, Ass. professionnelle des employés civils de l'administration centrale des colonies), droit qui renforçait leurs prérogatives (alors qu'il était refusé aux salariés du secteur privé) et incita un certain nombre d'associations à se déclarer.
- En 1910, la Fédération nationale des professeurs des lycées de garçons et de l'enseignement secondaire féminin (créée pourtant le 21 avril 1905 dans la salle des fêtes du lycée Louis-le-Grand, et dont le SNALC est aujourd'hui l'héritier) était officiellement déclarée le 23 mai.
- En 1912, l'Association Générale des personnels de la Préfecture de police était créée, avec une majorité de policiers, municipaux à cette époque (le SGP-FO en est aujourd'hui l'héritier).
Mais cela ne suffira pas pour autant à faire disparaître l’engouement des fonctionnaires pour le fait syndical.
L'entre-deux-guerres
- En 1918,les commissaires de police transformaient leur Association Amicale de Prévoyance, créée en 1906, qui n'avait aucune latitude pour défendre leur cause (ses statuts lui interdisant de sortir du domaine mutualiste) en Association Professionnelle (dont le SCPN est aujourd'hui l'héritier).
- En 1919,la Confédération Française des Travailleurs Chrétiens (CFTC) était créée.
En juillet de la même année, lors de son Congrès d'après-guerre, la fédération nationale des associations professionnelles des employés de l’Etat, des départements et des communes, invitait :
"toutes les organisations fédérées à se transformer en syndicats adhérents à la CGT …".
La fédération changea donc son cadre juridique d’association pour se transformer en fédération nationale des syndicats de fonctionnaires et rejoignit la CGT en 1920, avec la plupart de ses organisations.
Elle y retrouva des syndicats de postiers qui avaient, dès le mois d'août 1919, créé une fédération distincte : la fédération postale, adhérente de la CGT.
Une nouvelle répression
La victoire du Bloc national aux élections législatives de novembre 1919, empêchait en janvier 1920 l'élection de Georges Clemenceau comme Président de la République et entraîna sa démission de la Présidence du Conseil (alors qu'il était favorable à la création d'organismes de consultation des représentants ouvriers).
La politique de la Chambre dite "bleu horizon" fut alors marquée par une importante offensive contre la CGT, dont les effectifs atteignaient le million d'adhérents, mais aussi contre les syndicats de fonctionnaires.
- En 1920,le Gouvernement ordonnait aux organisations syndicales de fonctionnaires de se dissoudre.
- En 1920,le ministre de l'Intérieur s'en prenait à une association et sur son injonction, l'Association Générale des personnels de la Préfecture de police était contrainte de se dissoudre.
Le 30 décembre 1920, l'éclatement du parti socialiste SFIO (section française de l'Internationale ouvrière) lors de son congrès à Tours, voyait les majoritaires, favorables à l'adhésion à la troisième Internationale, partir (ils créeront le PC en mai 1921) tandis que les minoritaires se maintenaient dans la SFIO.
Ce déchirement politique devait avoir des répercussions sur l'unité de la CGT et de ses composantes.
- En 1921,à la demande du Gouvernement, la CGT était dissoute le 13 janvier par le tribunal correctionnel de la Seine, (mais ce jugement restera sans effet).
- En 1921,les partisans de la troisième Internationale, minoritaires au sein de la CGT, étaient exclus de la Confédération.
- En 1921,victime des mêmes problèmes, la fédération postale de la CGT éclatait.
- En 1922,consciente de ses problèmes internes et afin de préserver son unité, la fédération nationale des syndicats de fonctionnaires quittait la CGT en janvier, pour se réfugiait dans l'autonomie.
Dans le même temps, le Conseil d’Etat réaffirmait le caractère illicite des syndicats de fonctionnaires (CE, 13 janvier 1922, arrêt Boisson et Syndicat national des agents des contributions indirectes) et les juristes approuvèrent cette jurisprudence :
"pas de lutte des classes à l’intérieur de la hiérarchie administrative et, par suite, pas de syndicats de fonctionnaires parce que la forme syndicale est liée à l’idée de lutte des classes » (Hauriou : notes d’arrêts, Recueil Sirey de 1892 à 1929).
- En 1922,les exclus de la CGT en 1921 et des militants de tendance anarcho-syndicaliste fondaient la CGTU (U pour unitaire).
- En 1922,plusieurs responsables d'organisations de fonctionnaires devaient comparaître devant la Chambre correctionnelle de Paris.
- En 1924,une perquisition était opérée en mars dans les locaux de la fédération nationale des syndicats de fonctionnaires, afin de déterminer l'origine de ses ressources.
L'espoir d'une reconnaissance
La victoire du Cartel des gauches aux élections législatives de mai 1924, fit naître de grands espoirs. Dans une déclaration lue aux deux Chambres le 17 juin 1924, le président du Conseil Edouard Herriot annonçait en effet sa volonté de reconnaître aux fonctionnaires le droit syndical.
L’espoir prit la forme d’une circulaire du ministre de l’Intérieur, Camille Chautemps, adressée aux préfets, en date du 25 septembre 1924, dans laquelle il écrivait :
"Le Gouvernement estime … utile à la bonne marche des services et à la paix sociale que les chefs des administrations et des représentants de la majorité de leurs collaborateurs … entretiennent des rapports réguliers et confiants.
Vous voudrez bien vous inspirez vous-même, pour vos relations avec le personnel sous vos ordres, de la lettre et de l'esprit de ces instructions et veiller à ce qu'elles soient strictement et sincèrement observées par les chefs des divers services départementaux qui relèvent de votre autorité ou de votre contrôle".
Ce texte prenait acte du fait syndical dans la fonction publique et le tolérait. Mais juridiquement, on en restera là, avec l'éclatement du Cartel des gauches en novembre 1925.
Malgré cela, un certain nombre d'associations profitèrent de cette ouverture pour choisir la voie syndicale.
- En 1924,les policiers de la Préfecture de police décidaient de se regrouper en une organisation syndicale (afin de faire revivre leur association dissoute sur ordre en 1920) et créèrent le Syndicat Général de la Police (ancêtre du SGP-FO).
- En 1925,la Fédération nationale des professeurs des lycées de garçons et de l'enseignement secondaire féminin (ancêtre du SNALC) se transforma en Syndicat national, au grand dam de la presse conservatrice.
- En 1925,les commissaires de police décidaient eux aussi, après un référendum interne, de se transformer en une organisation syndicale et créèrent le Syndicat des Commissaires Municipaux, Spéciaux et Mobiles de la Sûreté Générale (ancêtre du SCPN).
Pour autant, les gouvernements successifs étaient toujours opposés à la création de syndicats dans leurs ministères, tandis que les arrêts de la Haute assemblée restaient conforme à sa jurisprudence : la situation était bloquée.
- En 1928,le Conseil d’Etat déclarait également illicite les syndicats des agents communaux (CE, 25 janvier 1928, arrêt Syndicat du personnel des services municipaux d'Ajaccio).
- En 1928,le mois de janvier voyait le retour de la majorité des organisations de la fédération nationale des syndicats de fonctionnaires au sein de la CGT (les autres réintégreront la fédération en décembre 1935).
- En 1932,la CFTC organisait sa propre fédération de fonctionnaires.
- En 1935,le mois de décembre voyait la CGTU rejoindre les rangs de la CGT.
Dans le même temps, la fédération postale unitaire rejoignait l'autre fédération postale, restée à la CGT, pour former une seule fédération.
A la fin de 1936, après la victoire électorale du Front populaire, la CGT comptait 5 millions d'adhérents, dont 1 million dans les services publics.
L'occupation
L'offensive allemande de juin 1940 et la signature de l’armistice firent table rase des acquis : le Gouvernement de Vichy procéda, par l'intermédiaire de son ministre de la Production et du Travail (Belin, ancien responsable de la fédération postale CGT) à la dissolution de tous les syndicats existants.
Dans le même temps, le régime leur offrait la possibilité de se constituer en association professionnelle ; mais peu d'organisations choisirent cette option et beaucoup entrèrent en clandestinité.
Le 14 septembre 1941, reprenant en grande partie un projet de décret-loi rédigé en 1938, ce même gouvernement promulguait un Statut pour les fonctionnaires, alors qu'aucun texte, législatif ou réglementaire, ne régissait jusque-là leur condition (à l'exception de celle des membres de l'enseignement secondaire et supérieur, déjà dotés d'un statut).
Mais, conformément à la jurisprudence constante du Conseil d'Etat, ce texte n'accordait pas aux fonctionnaires le droit syndical, et encore moins le droit de grève, car l'article 17 de la loi stipulait même que :
"Tout acte d'un fonctionnaire portant atteinte à la continuité indispensable à la marche normale du service public qu'il a reçu pour mission d'assurer constitue le manquement le plus grave à ses devoir essentiels. Lorsqu'un acte de cette nature résulte d'une action collective ou concertée, il a pour effet de priver le fonctionnaire des garanties prévues par le présent statut en matière disciplinaire".
L'infléchissement de la politique de Vichy à l'égard des fonctionnaires déboucha pourtant le 27 août 1942 sur l'appel du ministre de l'Education nationale aux instituteurs, leur demandant de se rallier au régime.
La réponse prit la forme d'une lettre ouverte dans laquelle les signataires faisaient savoir qu'ils n'étaient "pas ralliés à l'ordre nouveau" et refusaient d'être "les propagandistes salariés du fascisme français".
Nonobstant ce rejet, le Gouvernement de Vichy poursuivit sa politique d'ouverture vers les agents publiques, en étendant aux agents communaux, par décret du 9 septembre 1943, le Statut du 14 septembre 1941 qu'il avait octroyé aux fonctionnaires de l'Etat.
4.2.1.b - La reconnaissance du droit syndical
Il a fallu attendre la libération du territoire national pour voir la situation des fonctionnaires de l'Etat évoluer favorablement, tant au plan statutaire qu'au regard du droit syndical.
L'ordonnance du 9 août 1944 portant rétablissement de la légalité républicaine, abrogea la loi du 14 septembre 1941.
Puis la nomination en 1945 de Maurice Thorez, comme vice-président du Conseil chargé de la fonction publique, marqua un tournant et une accélération dans la réforme de la Fonction publique.
La reconstruction de l'état
La reconstruction de la France passait par la reconstruction de l'Etat.
A cette fin, en avril 1945, une mission provisoire de la réforme de la Fonction publique (appelée aussi mission Debré, du nom du jeune maître des requêtes au Conseil d’État, que le général De Gaulle avait placé à sa tête) était créée.
La progression rapide de ses travaux permettait, dès le 4 juin 1945, à un comité interministériel présidé par le général De Gaulle, d'adopter un projet de réforme.
Le 10 octobre 1945, cette réforme pouvait entrer en vigueur, car le journal officiel publiait le même jour les ordonnances, préparées par Michel Debré, et leurs décrets d'application.
Ainsi, l'ordonnance n° 45-2283 du 9 octobre 1945, instituait à la fois l'Ecole nationale d'administration, le corps des administrateurs civils, une Direction de la Fonction publique et un Conseil permanent de l'administration civile composé de neufs membres. Présidé par un président de section au Conseil d'Etat, ce conseil comprenait deux personnalités (n'ayant pas la qualité de fonctionnaires et n'appartenant pas à des services publics) et six fonctionnaires :
"dont trois choisis sur une liste de neuf noms établie par les fédérations syndicales de fonctionnaires".
Ce Conseil permanent, dont la constitution reconnaissait de fait l'action des fédérations syndicales de fonctionnaires dans les administrations, devait être "consulté sur toutes les questions intéressant le recrutement, le statut et l'organisation des services publics".
Le 12 octobre 1945, Roger Grégoire, membre du Conseil d'Etat, devenait à 32 ans le premier directeur de la Fonction publique.
Dans un rapport très incisif rédigé en septembre 1943, il affirmait :
"Pour que les réformes nécessaires soient effectivement poursuivies, une autorité unique devrait être chargée d'en suivre l'application, (...) une direction générale du personnel unique à tous les ministères".
et de prévoir déjà :
"Ces propositions heurtent singulièrement les habitudes prises (...), elles connaîtront de vives résistances de la part de tous les départements enclins à y voir une atteinte à leur autonomie".
Il exercera sa fonction durant dix ans, sous vingt Gouvernements successifs.
La laborieuse gestion du statut de 1946
Le 21 octobre 1945, les élections consacraient la normalisation de la vie politique en France : les Français rejetaient à 96% le régime qui était à l'origine de la défaite (ce qui ouvrait la porte à la IVe République) et imposaient le Parti Communiste Français (PCF) comme premier parti politique de l'Assemblée constituante.
Le 23 novembre 1945, la nomination par le général De Gaulle de Maurice Thorez, comme vice-président du Conseil chargé de la fonction publique, marquait un tournant dans la réforme de la Fonction publique.
Alors que Michel Debré s'était occupé de la haute Fonction publique (création de l'ENA, du corps des administrateurs civils et du Conseil permanent) le chef du PCF allait s'occuper de la masse des 900 000 fonctionnaires et souhaitait ardemment l'adoption d'un Statut général, car il disait :
"le fonctionnaire ne doit plus être le domestique du Gouvernement livré à l'arbitraire ou au favoritisme, mais le serviteur de l'Etat et de la Nation, garanti dans ses droits, son avancement et son traitement, conscient en même temps de sa responsabilité, considéré comme un homme et non comme un rouage impersonnel de la machine administrative"
Il ouvrait donc le chantier relatif au projet de Statut général, avec pour rédacteurs Jacques Pruja (Secrétaire général de la fédération générale des fonctionnaires CGT) et Max Amiot (jeune inspecteur des impôts).
Et c'est dans un contexte de forte syndicalisation que le ministre entama la négociation avec les organisations de fonctionnaires CGT et CFTC, qui avaient réouvert les projets d'avant-guerre.
Le départ du général de Gaulle le 20 janvier 1946 et son remplacement par Félix Grouin ne modifièrent en rien la mission de Maurice Thorez.
- Un projet complet fut présenté au début du mois de mars 1946.
Roger Grégoire, directeur de la Fonction publique, qui travaillait sur les statuts particuliers et s'inquiétait de la mise en chantier d'un statut par des syndicalistes, écrivit à Louis Joxe, secrétaire général du gouvernement, après avoir pris connaissance des propositions, pour lui dire : "le texte est à revoir entièrement" et il fit même préparer un contre-projet, qui n'eut aucune suite.
Mais, en instaurant une participation au sein des ministères et en proposant la transformation de la direction de la Fonction publique en un secrétariat général, le projet suscitait plus qu'une vive opposition : il provoqua une levée de boucliers.
Les ministres et la haute fonction publique voyaient dans la participation un affaiblissement de leurs prérogatives, tandis que le directeur du Budget, Didier Gregh, considérait pour sa part la création d'un secrétariat d'Etat comme "une attaque directe contre la prééminence, jusqu'ici reconnue, du ministère des Finances en tout ce qui touche la matière de la fonction publique". - Une solution de repli fut donc préparée par le cabinet ministériel.
Le 23 mars 1946, Maurice Thorez, vice-président du Conseil, dans sa communication au Conseil des ministres, tenait à rassurer ceux qui pensaient qu'il avait la volonté d'affaiblir les prérogatives des ministres et des chefs de service en leur déclarant que la participation était organisée "selon une forme compatible avec le souci de sauvegarder le pouvoir de décision des autorités responsables".
Et de préciser que les votes auraient lieu dans tous les cas à main levée et que le président des organismes consultatifs avait voix prépondérante en cas de partage des voix.
Déposé le 16 avril à l'Assemblée, ce nouveau projet reçut un avis réservé du Conseil d'Etat le 26 avril 1946.
Quant au directeur du Budget, il écrivait encore : "Ce statut général aura pour effet, s'il est adopté, de retirer à la direction du Budget et au ministère des Finances, une grande partie de son pouvoir traditionnel, l'appréciation en tout ce qui touche au régime des fonctionnaires".
Devant la vive opposition qu'il continuait de soulever, ce second projet fut abandonné. - De nouvelles tractations eurent lieu entre le nouveau Président du Conseil Georges Bidault et son ministre Maurice Thorez, puis de nouveaux arbitrages...
Un troisième projet gouvernemental fut élaboré.
Le directeur du budget se résigna enfin à accepter cette version, parce qu'elle prévoyait que "le ministre des Finances signe et contresigne tous les textes relatifs à la fonction publique ou aux fonctionnaires, qui ont des répercussions directes ou indirectes" : la direction de la fonction publique n'avait plus qu'un rôle de coordination.
Ce projet fut présenté au Conseil d'Etat, qui donna un avis le 10 août, et le projet de texte du Statut général des fonctionnaires fut déposé au bureau de l'Assemblée constituante le 27 août 1946.
Il fit encore l'objet de sérieux affrontements entre le PCF et le MRP (Mouvement Républicain Populaire), mais on en restera là.
Lors du débat à l'Assemblée, le rapporteur du projet, Yves Fagon, député MRP et ancien secrétaire général de la CFTC, déclara que ce Statut répondait à la préoccupation générale d'établir "un statut basé sur les principes démocratiques tels qu'ils sont exprimés par la nouvelle Constitution" et qu'il tendait :
"d'une part, à fixer les droits, devoirs et garanties des fonctionnaires, d'autre part, à créer les organismes qui permettront d'assurer, dans les meilleurs conditions, ces droits, ces devoirs et ces garanties".
Voté à l’unanimité le 5 octobre 1946, ce projet législatif devenait la loi n° 46-2294 du 19 octobre 1946, qui prévoyait en son article 6 :
"Le droit syndical est reconnu aux fonctionnaires. Leurs syndicats professionnels régis par le livre III du code du travail, peuvent ester en justice, devant toute juridiction. Ils peuvent notamment, ..., se pourvoir contre les actes réglementaires concernant le statut du personnel et contre les décisions individuelles portant atteinte aux l'intérêts collectifs des fonctionnaires.
Toute organisation syndicale de fonctionnaires est tenue d’effectuer, dans les deux mois de sa création, le dépôt de ses statuts et de la liste de ses administrateurs auprès de l’autorité hiérarchique dont dépendent les fonctionnaires appelés à en faire partie. ...".
Cette loi statutaire ne concernait que les fonctionnaires de l’État.
Les agents communaux en avaient été écartés, à cause des craintes, exprimées par certains élus, d'y voir une étatisation du personnel communal et la remise en cause de l'autonomie des communes.
Malgré ces craintes, le droit syndical fut étendu ultérieurement aux agents communaux par l'article 2 de la loi du 28 avril 1952 (loi codifiée au livre IV du code des communes), ainsi qu'aux agents hospitaliers par un décret-loi du 20 mai 1955 (codifié en 1959 dans le code de la Santé publique, art. L. 793).
Mais, bien qu'exerçant des missions de service publique, ces agents ne bénéficiaient pas pour autant de la qualité de fonctionnaire, et les agents communaux en ressentaient une certaine frustration.
Avec l’avènement de la Ve République, il fut procédé à une refonte du Statut général des fonctionnaires, afin de tenir compte des nouvelles dispositions des articles 34 et 37 de la Constitution du 4 octobre 1958, fixant les domaines respectifs de la loi et du règlement.
La loi du 19 octobre 1946, relative au Statut général des fonctionnaires, a donc été remplacée :
- par l’Ordonnance n° 59-244 du 4 février 1959, pour toutes les dispositions considérées comme des garanties fondamentales pour les fonctionnaires : tel a été le cas de l’article 6 du texte abrogé, dont les termes ont été intégralement repris par l’article 14 de l'Ordonnance (à l'exception de la dernière phrase sur le dépôt des statuts des organisations syndicales déjà existantes, qui n'avait plus lieu d'être et qui n'a pas été reproduite supra) ;
- par des décrets en Conseil d'Etat (dont la plupart ont été signés le 14 février 1959) pour les autres dispositions.
4.2.1.c - Les fondements actuels du droit syndical
La liberté syndicale, reconnue actuellement aux fonctionnaires, repose sur un socle juridique qui relève à la fois du droit interne depuis 1946 et du droit international depuis 1952.
Les organisations syndicales de fonctionnaires disposent à présent de nombreux moyens pour assurer la défense des intérêts individuels et collectifs de leurs membres.
Mais depuis 1947, certaines catégories de fonctionnaires et d'agents publics de l'Etat ont fait l'objet d'une restriction de ces moyens, avec notamment la limitation du droit de grève, voire son interdiction.
Le socle juridique
Il prend sa source, après la Libération, dans deux évènements quasi simultanés : le vote de la loi du 19 octobre 1946, qui reconnaissait le droit syndical aux fonctionnaires (de l'Etat, car il n'existait qu'un versant de la fonction publique à cette époque) et la proclamation de la IVe République avec la Constitution du 27 octobre 1946.
La proclamation de la Ve République en 1958 ne modifia ce dispositif que pour l'adapter aux nouvelles dispositions constitutionnelles, fixant les domaines respectifs de la loi et du règlement.
Durant cette période l’Organisation Internationale du Travail, le Conseil des ministres du Conseil de l’Europe et l'Assemblée générale des Nations Unies adoptèrent un certain nombre d'accords, conventions ou pactes, traitant notamment de la liberté syndicale ou de la protection du droit syndical, et invitèrent leurs membres à les ratifier.
Le droit interne
- Le fondement constitutionnel
Avec le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, confirmé par celui de la Constitution du 4 octobre 1958, qui édicte en son alinéa 6 :
"Tout homme peut défendre ses droits et intérêts par l’action syndicale et adhérer au syndicat de son choix."
D'autant que la jurisprudence du Conseil constitutionnel (notamment la décision 71-44-DC du 16 juillet 1971, JORF du 18 juillet) et du Conseil d'Etat (avec son arrêt société Eky du 12 février 1960) reconnaissent au préambule la même valeur juridique qu'au corps même de la Constitution.
- Le fondement législatif
Avec la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires(qui fait suite à la loi de 1946 et à l'ordonnance de 1959), dont l'article 8 est ainsi libellé :
"Le droit syndical est garanti aux fonctionnaires. Les intéressés peuvent librement créer des organisations syndicales, y adhérer et y exercer des mandats. ..."
Avec le code du travail et son article L. 2131-2,1er alinéa, qui prévoit actuellement que :
"Les syndicats ou associations professionnels ... peuvent se constituer librement."
Le droit international
- Avec la Convention n° 87 du 9 juillet 1948 de l’Organisation Internationale du Travail (OIT),ratifiée par la France le 28 juin 1952, qui spécifie en son article 2 que :
"Les travailleurs et les employeurs, sans distinction d’aucune sorte, ont le droit, sans autorisation préalable, de constituer des organisations de leur choix, ainsi que celui de s’affilier à ces organisations, à la seule condition de se conformer aux statuts de ces dernières."
et à l'article 3 que :
"Les organisations de travailleurs et d’employeurs ont le droit d’élaborer leurs statuts et règlements administratifs, d’élire librement leurs représentants, d’organiser leur gestion et leur activité, et de formuler leur programme d’action.
Les autorités publiques doivent s’abstenir de toute intervention de nature à limiter ce droit ou à en entraver l’exercice légal."
- Avec la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, adoptée à Rome le 4 novembre 1950 par le Conseil des ministres du Conseil de l’Europe, et ratifiée par la France en 1989, qui stipule en son article 11 que :
"Toute personne a droit ... de fonder avec d'autres des syndicats et de s'affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts."
même si elle prévoit par ailleurs que l’exercice de ces droits peut faire l’objet de restrictions.
- Avec le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, adopté à New York le 16 décembre 1966 par l'Assemblée générale des Nations Unies, et ratifié par la France le 4 novembre 1980, qui édicte en son article 8 :
"1 - Les Etats parties au présent Pacte s’engagent à assurer :
a) Le droit qu’a toute personne de former avec d’autres des syndicats et de s’affilier au syndicat de son choix, sous la seule réserve des règles fixées par l’organisation intéressée, en vue de favoriser et de protéger ses intérêts économiques et sociaux. L’exercice de ce droit ne peut faire l’objet que des seules restrictions prévues par la loi, et qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, dans l’intérêt de la sécurité nationale ou de l’ordre public, ou pour protéger les droits et libertés d'autrui...
2 - Le présent article n’empêche pas de soumettre à des restrictions légales l'exercice de ces droits par les membres des forces armées, de la police ou de la fonction publique."
Car, aux termes de l'article 55 de la Constitution du 4 octobre 1958 :
"les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, ...".
La loi n° 83-634 du 13 juillet 1983
Le statut général des fonctionnaires du 19 octobre 1946, comme celui du 4 février 1959, ne concernaient que les fonctionnaires de l'Etat.
Mais le droit syndical avait été étendu, dans des termes voisins, aux agents communaux par la loi du 28 avril 1952 (codifiée au livre IV du code des communes) et aux agents hospitaliers par un décret-loi du 20 mai 1955 (codifié par la suite dans le code de la Santé publique, art. L. 793).
Le droit syndical et la participation
En 1981, l’alternance politique conduisit le gouvernement à proposer aux organisations syndicales l’élaboration d’un nouveau statut.
Après plus d’un an de négociation, la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 vit le jour. Elle constitue le premier des quatre titres du Statut général des fonctionnaires, dont l’article 8 est ainsi libellé :
"Le droit syndical est garanti aux fonctionnaires. Les intéressés peuvent librement créer des organisations syndicales, y adhérer, y exercer des mandats. Ces organisations peuvent ester en justice. Elles peuvent se pourvoir devant les juridictions compétentes contre les actes réglementaires concernant le statut du personnel et contre les décisions individuelles portant atteinte aux intérêts collectifs des fonctionnaires.
Les organisations syndicales de fonctionnaires ont qualité pour conduire au niveau national avec le Gouvernement des négociations préalables à la détermination de l’évolution des rémunérations et pour débattre avec les autorités chargées de la gestion, aux différents niveaux, des questions relatives aux conditions et à l’organisation du travail".
Tandis que l’article 9 de la loi du 13 juillet 1983 prévoit aussi que :
"Les fonctionnaires participent, par l’intermédiaire de leurs délégués siégeant dans les organismes consultatifs, à l’organisation et au fonctionnement des services publics, à l’élaboration des règles statutaires et à l’examen des décisions individuelles relatives à leur carrière".
Les apports de la loi du 13 juillet 1983
A la différence des deux statuts précédents, ce troisième statut, résultant de la loi du 13 juillet 1983, actuellement en vigueur, s'applique non seulement aux fonctionnaires de l'Etat, mais aussi aux agents communaux, devenus des fonctionnaires territoriaux et aux agents hospitaliers devenus, eux aussi, des fonctionnaires hospitaliers.
Ainsi, outre le fait que son champ d’application soit élargi aux personnels de la fonction publique territoriale et hospitalière, ce statut présente trois différences importantes par rapport à l’article 6 de la loi de 1946 et à l’article 14 de l’ordonnance de 1959 :
- La première, concerne le fait que "les intéressés peuvent librement créer des organisations syndicales, y adhérer, y exercer des mandats" : précisions qui ne figuraient pas dans les statuts antérieurs.
- La deuxième,est que cet article reconnaît en son deuxième alinéa que "les organisations syndicales de fonctionnaires ont qualité pour conduire au niveau national avec le Gouvernement des négociations préalables à la détermination de l’évolution des rémunérations et pour débattre avec les autorités chargées de la gestion, aux différents niveaux, des questions relatives aux conditions et à l’organisation du travail" : ce qui est la reconnaissance d’une pratique instaurée depuis 1968, notamment en matière salariale.
- La troisième,réside dans le fait qu’il n’est plus question, comme en 1946 ou en 1959, d’effectuer "le dépôt de ses statuts et de la liste de ses administrateurs auprès de l’autorité hiérarchique dont dépendent les fonctionnaires appelés à en faire partie" : mais cette obligation est reprise partiellement par les décrets d’application.
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Ainsi, le décret n° 82-447 du 28 mai 1982, relatif à l’exercice du droit syndical dans la fonction publique de l’État stipule, dans son article 2, que "les organisations syndicales déterminent librement leurs structures dans le respect des dispositions législatives et réglementaires en vigueur, à charge pour les responsables de ces organisations d’informer l’administration".
Des textes analogues concernent la fonction publique territoriale (décret n° 85-397 du 3 avril 1985) et hospitalière (décret n° 86-660 du 19 mars 1986).
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Mais, en contrepartie, les fonctionnaires chargés d’un mandat syndical, peuvent être placés en "position de détachement", ou bénéficier "des autorisations spéciales d’absence, et des décharges d’activité de service", afin d’exercer leur mandat.
Les modifications apportées à la loi de 1983
La loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, applicable aux 3 fonctions publiques, consacre dans son article 8, 2e alinéa, une concertation qui vient s’ajouter à celle plus traditionnelle, qui se déroule habituellement dans le cadre formel des instances de participation prévues par la loi.
- La concertation non institutionnelle avant 2010
Pour cette nouvelle concertation, les négociations qui en ont résulté avaient un caractère totalement informel, puisque aucune règle juridique n’était venue fixer leur déroulement.
Aussi, depuis 1970, date de la première négociation salariale, à laquelle participèrent les organisations représentatives (dont la FGAF) des fonctionnaires de l’Etat (les fonctions publiques territoriale et hospitalière n’existant pas encore) l’administration perpétuait la tradition.
La FGAF, écartée des négociations touchant l’ensemble des fonctions publiques depuis sa sortie de l’UNSA en 2006, au motif qu'elle ne siégeait plus au Conseil supérieur de l'Etat (alors qu'elle obtenait 101 019 suffrages aux élections professionnelles dans les trois fonctions publiques en 2008, et le 7e rang devant la CFTC et la CGC) avait saisi d'administration de ce problème le 30 novembre 2009, lui signifiant que sa pratique n'était juridiquement plus tenable, ni acceptable avec son caractère discriminatoire.
La réponse ne s'est pas fait attendre. - La concertation non institutionnelle après 2010
Le 5 juillet 2010, l'article 1er de la loi n° 2010-751 relative à la rénovation du dialogue social, modifiait profondément l'article 8 du titre I du Statut général des fonctionnaires en supprimant son deuxième alinéa et en créant un article 8 bis, qui reprenait les dispositions de l'alinéa supprimé, mais surtout précisait les espaces ouverts à la négociation, fixait les critères pris en compte pour la participation des organisations syndicales et stipulait les conditions de validité d'un accord !
L'article 8 bis, inséré dans la loi n° 83-634 est ainsi rédigé :
"I. - Les organisations syndicales de fonctionnaires ont qualité pour participer au niveau national à des négociations relatives à l'évolution des rémunérations et du pouvoir d'achat des agents publics avec les représentants du Gouvernement, les représentants des employeurs publics territoriaux et les représentants des employeurs publics hospitaliers.
II. - Les organisations syndicales de fonctionnaires ont également qualité pour participer, avec les autorités compétentes, à des négociations relatives :
1° Aux conditions et à l'organisation du travail, et au télétravail ;
2° Au déroulement des carrières et à la promotion professionnelle ;
3° A la formation professionnelle et continue ;
4° A l'action sociale et à la protection sociale complémentaire ;
5° A l'hygiène, à la sécurité et à la santé au travail ;
6° A l'insertion professionnelle des personnes handicapées ;
7° A l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes.
III. - Sont appelées à participer aux négociations mentionnées aux I et II les organisations syndicales disposant d'au moins un siège dans les organismes consultatifs au sein desquels s'exerce la participation des fonctionnaires et qui sont déterminées en fonction de l'objet et du niveau de la négociation.
Une négociation dont l'objet est de mettre en œuvre à un niveau inférieur un accord conclu au niveau supérieur ne peut que préciser ce dernier ou en améliorer l'économie générale dans le respect de ses stipulations essentielles.
IV.* - Un accord est valide s'il est signé par une ou plusieurs organisations syndicales de fonctionnaires ayant recueilli au moins 50 % du nombre des voix lors des dernières élections professionnelles organisées au niveau auquel l'accord est négocié".
* Nota :
I. - Le IV de l'article 8 bis de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires entre en vigueur à une date fixée par décret et au plus tard le 31 décembre 2013.
II. - Avant l'entrée en vigueur du IV du même article 8 bis, la validité d'un accord est subordonnée au respect de l'une ou l'autre des conditions suivantes :
1° Il est signé par une ou plusieurs organisations syndicales ayant recueilli au moins 50 % du nombre des voix ;
2° Il est signé par une ou plusieurs organisations syndicales ayant recueilli au total au moins 20 % du nombre des voix et ne rencontre pas l'opposition d'une ou plusieurs organisations syndicales parties prenantes à la négociation représentant au total une majorité des voix.
Pour l'application du présent II, sont prises en compte les voix obtenues par les organisations syndicales de fonctionnaires lors des dernières élections professionnelles au niveau où l'accord est négocié.
Les règles spécifiques appliquées à certains
Le préambule de la Constitution de 1946, auquel renvoie celui de la Constitution de 1958, reconnait le droit de grève à tous les travailleurs, y compris par conséquent aux fonctionnaires.
Mais ce même alinéa prévoit aussi que :
"le droit de grève s'exerce dans le cadre des lois qui le réglementent".
Aussi, certaines catégories de fonctionnaires de l'Etat se sont vu retirer le droit de grève et ont été placées en catégorie spéciale, cela :
"[afin d'] opérer la conciliation nécessaire entre la défense des intérêts professionnels dont la grève constitue une modalité et la sauvegarde de l'intérêt général auquel elle peut être de nature à porter atteinte".
(CE, 7 juillet 1950, arrêt Dehaene)
Certains juristes parlent alors de "statut spécial" tandis que d’autres y voient plutôt un "statut particulier dérogatoire", avec des dispositions spécifiques en matière de recrutement ou de grilles indiciaires.
Il en est ainsi pour :
- Les personnels de police
Dès 1947, les personnels des compagnies républicaines de sécurité (CRS) ont été classés en "catégorie spéciale" par l'article 6 de la loi n° 47-2384 du 27 décembre 1947 (remplacé depuis par l'article L 411-4 du code de la Sécurité intérieure).
Neuf mois plus tard, il en fut de même pour les fonctionnaires de la sûreté nationale et les personnels de la préfecture de police, avec les dispositions de la loi n° 48-1504 du 28 septembre 1948 (art. 2).
Mais si la loi leur avait retiré le droit de grève, le Conseil d'Etat rappela qu'elle ne les avait pas pour autant privés du droit syndical (CE, 25 mai 1966, sieur Rouve) ; - Les personnels de la pénitentiaire
Ils ont été classés en« catégorie spéciale » par les dispositions de l'article 1er de l’ordonnance n° 58-696 du 6 août 1958, mais "ce statut ne peut porter atteinte au libre exercice du droit syndical" (art. 2 du même texte) ; - Les personnels de la navigation aérienne
La loi n° 64-650 du 2 juillet 1964 avait retiré le droit de grève aux contrôleurs de la circulation aérienne et aux électroniciens de la sécurité aérienne.
Puis, la loi n° 71-458 du 17 juin 1971 en avait fait de même pour les ingénieurs des études et de l'exploitation de l'aviation civile.
Mais la loi n° 84-1286 du 31 décembre 1984 leur a redonné ce droit, tout en leur imposant la mise en place d'un service minimum avec un certain nombre d’obligations, afin d'assurer la continuité de l'action gouvernementale, l'exécution des missions de la défense nationale, la sauvegarde des personnes et des biens et le maintien des liaisons destinées à éviter l'isolement des DOM-TOM.
Le décret 85-1332 du 17 décembre 1985 est venu préciser les modalités d'application de cette loi.
Aujourd'hui, leur classement en "statut spécial" a été maintenu par les lois n° 89-1007 et 90-557 et leurs statuts particuliers peuvent déroger au titre II et aux articles 12 et 16 du titre I du Statut général des fonctionnaires ; - Les personnels des transmissions du ministère de l'intérieur
Ils sont eux aussi soumis à des "statuts spéciaux" et privés du droit de grève depuis les stipulations de l'article 14 de la loi de finances rectificative pour 1968 (loi n° 68-695 du 31 juillet).
Mais, ces statuts spéciaux, s’ils peuvent déroger au Statut général des fonctionnaires, ne peuvent pas porter atteinte au droit syndical.
Enfin, il convient de mentionner ici le cas des magistrats qui, bien que n'étant pas des fonctionnaires, sont des agents publics dont les statuts spécifiques ne mentionnent pas le droit syndical.
- Les magistrats
Bien que ne relevant pas du Statut général des fonctionnaires, ils jouissent du droit syndical depuis 1972, même si leur statut n’y fait pas référence, grâce à un arrêt du Conseil d'Etat (CE, 1er décembre1972, arrêt Demoiselle Obrego).
Toutefois, le recours à la grève leur est interdit par l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958.
4.2.1.d - Les conséquences de la reconnaissance
La reconnaissance constitutionnelle et législative du droit syndical aux fonctionnaires entraîne, ipso facto, la reconnaissance de la liberté syndicale pour ces mêmes fonctionnaires :
- liberté tout d'abord pour leurs syndicats, en matière de constitution et d'organisation,
- liberté aussi pour les fonctionnaires, d'adhérer ou de ne pas adhérer à l'organisation syndicale de leur choix.
Cette liberté syndicale a favorisé la multiplication des créations d'organisations syndicales dans la fonction publique. Ayant toutes vocation à défendre les intérêts professionnels de leurs adhérents, elles n'ont pas pour autant la même audience ou la même influence.
Aussi, cette prolifération a conduit les pouvoirs publics à reconnaître des prérogatives particulières aux organisations considérées comme représentatives dans des secteurs d'activité, préalablement arrêtés.
La liberté syndicale à l'égard de l'état
Les syndicats professionnels ayant la possibilité de se constituer librement, l’État n’intervient en aucune façon dans leur constitution.
De fait, aucune autorisation préalable de l'Etat n'est requise, aucune tutelle de l'Etat n'est exercée sur le syndicat et l'Etat ne dispose d'aucun droit de dissolution : l'administration se contente donc d'enregistrer le dépôt des statuts.
Après l’accomplissement de cette formalité, un récépissé est délivré au déposant, en même temps qu’un numéro d’enregistrement du syndicat.
Ce récépissé apporte la preuve que cette formalité substantielle a été accomplie, car elle conditionne l’existence officielle du syndicat (Cass. soc. 7 mai 1987).
La liberté de Constitution
Le syndicat étant un groupement professionnel, le législateur impose toutefois à ceux qui désirent créer un syndicat, d’être unis par un lien professionnel. Cette condition remplie, il existe alors une grande liberté quant aux personnes pouvant constituer un syndicat ou au cadre territorial de celui-ci.
Le code du Travail n’impose d'ailleurs que des conditions de forme très simples, car l'article L. 2131-3 édicte que :
"Les fondateurs de tout syndicat professionnel déposent les statuts et les noms de ceux qui, à un titre quelconque, sont chargés de l’administration ou de la direction"
et ne prévoit aucune approbation préalable d’une autorité publique, puisque l'article L. 2131-2 stipule que :
"Les syndicats ou associations professionnels ... peuvent se constituer librement".
Mais le dépôt des statuts du syndicat doit être effectué conformément aux dispositions de l'article R. 2131-1 du code du travail :
"... à la mairie de la localité où le syndicat est établi.
Le maire communique ces statuts au procureur de la République".
Dans la capitale, il est effectué à l’annexe de la mairie de Paris, bureau des syndicats - 2, rue Lobau - 75196 Paris RP.
Par ailleurs, conformément aux dispositions de l'article L. 2131-3 alinéa 2 du même code, ce dépôt devra être "renouvelé en cas de changement de la direction ou des statuts."
Enfin, si le transfert du siège du syndicat dans une autre commune est décidé, un nouveau dépôt des statuts devra être effectué à la mairie de cette nouvelle commune.
* Trois exceptions cependant
Dans les départements de la Moselle (57), du Bas-Rhin (67) et du Haut-Rhin (68), le dépôt des statuts doit être effectué au Tribunal de Grande Instance.
Le dépôt est la seule mesure de publicité requise, car il n’y a pas de publicité au journal officiel, analogue à celle qui est imposée aux associations déclarées.
Aussi, la loi ne contenant aucune disposition quant à la communication aux tiers, le Conseil d’État (5 juillet 1912) a estimé que le dépôt était une forme de publicité, et que "le public était en droit de demander cette même communication" tant des statuts que du nom des administrateurs du syndicat.
La liberté d'organisation
Les fondateurs d’un syndicat disposent d’une grande liberté pour l’élaboration des statuts, car il n’existe pas de statuts types, imposés ou recommandés par l’administration.
Aussi, le décret n° 82-447 du 28 mai 1982 modifié, relatif à l'exercice du droit syndical dans la fonction publique (de l'Etat), précise en son article 2 :
"Les organisations syndicales déterminent librement leurs structures dans le respect des dispositions législatives et réglementaires en vigueur, à charge pour les responsables de ces organisations d'informer l'administration".
Cependant, afin d’assurer la bonne marche de l’organisation, il semble nécessaire d’y faire figurer un certain nombre d’informations :
- Le nom du syndicat, son siège social, son objet, son ressort territorial, la branche d’activité professionnelle à laquelle appartiennent ses membres,
- L’admission, la démission ou l’exclusion de ses membres,
- Son organisation interne et le pouvoir des assemblées,notamment quant à la modification des statuts, à la dissolution du syndicat et au sort des biens.
Ce sont là les grandes lignes directrices qui doivent prévaloir lors de l’élaboration des statuts. Elles résultent en fait de la circulaire ministérielle n° 45/68 du 25 novembre 1968, du ministre chargé du Travail.
Mais d’autres dispositions peuvent y trouver place, telle que l’affiliation à une autre organisation.
Dans la Fonction publique de l'Etat, les structures ont longtemps été articulées autour des syndicats nationaux, car avec la gestion centralisée des personnels, les interlocuteurs des syndicats n'étaient autre que les ministres eux-mêmes et les autorités administratives nationales : les directeurs généraux et les directeurs du personnel.
Avec la gestion déconcentrée du personnel, on assiste actuellement à une évolution des structures des organisations syndicales et on voit apparaître des syndicats régionaux ou départementaux.
Cependant, la structure nationale reste encore la plus répandue, même si elle est souvent subdivisée en sections syndicales, implantées au niveau le plus proche possible d'un lieu de travail ou d'un découpage administratif, afin de pouvoir réagir rapidement et traiter plus facilement les problèmes qui s'y présentent.
Mais il convient cependant de rappeler que ces sections n'ont pas la personnalité juridique et ne peuvent pas ester en justice : cette prérogative étant réservée aux seuls syndicats et à leurs unions.
La liberté syndicale à l'égard des personnes
Outre le fait que le Préambule de la Constitution de 1946 ne prévoit pas que la loi puisse apporter de restrictions au droit syndical, il énonce le principe de la liberté d'adhésion et de choix.
La liberté d'adhésion et de choix
Si la liberté d'adhérer au syndicat de son choix est reconnue à chaque membre d’une profession par la Constitution, l'article L. 2141-1 du code du travail est venu en préciser la portée en stipulant que :
"Tout salarié peut librement adhérer au syndicat professionnel de son choix et ne peut être écarté pour l'un des motifs visés à l'article L. 1132-1", article qui traite de la non-discrimination.
- L'illégalité des discriminations liées à l'adhésion
Il est aussi illégal, car contraire à la liberté syndicale, qu'un salarié, ou qu'un fonctionnaire, fasse l'objet de mesures discriminatoires en raison de son adhésion à un syndicat.
C'est ce qui résulte, pour l'ensemble des salariés, du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, dont le 3e alinéa proclame :
"nul ne peut être lésé, dans son travail ou son emploi, en raison de ses... opinions... ".
C'est aussi ce qui est réaffirmé pour les fonctionnaires par l'article 6 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 modifiée, dont la rédaction stipule :
"La liberté d'opinion est garantie aux fonctionnaires.
Aucune distinction, directe ou indirecte, ne peut être faite entre les fonctionnaires en raison de leurs opinions politiques, syndicales, philosophiques ou religieuses,... ".
Ce principe de liberté d’adhésion, souvent menacé par l’employeur, privé ou public, protège le travailleur (comme le fonctionnaire), aussi bien lors de son embauche (ou de son recrutement) et pendant la durée de son contrat (comme de sa carrière), contre toutes les discriminations dont il pourrait être victime en raison de son affiliation syndicale (Cass. civ. 27 mars 1952 ; Cass. crim. 12 mai 1981 ; Cass. soc. 21 avril 1983).
- La justice et la discrimination syndicale
En ce domaine, la jurisprudence de la Haute assemblée n'est pas restée figée dans le temps, mais a évolué dans un sens plus favorable aux responsables syndicaux, en demandant à l'administration de formuler des reproches précis, montrant les manquements des fonctionnaires incriminés dans la conduite de leur activité syndicale.
En 1964, le ministre des P et T refusait de muter, sur sa demande, un fonctionnaire dans un centre de tri postal, en invoquant que cette mutation lui semblait susceptible, en raison de l'organisation du centre et de l'activité syndicale de l'intéressé, de nuire en cas de grève à la bonne marche du service.
Le Conseil d'Etat avait validé le refus du ministre, en considérant qu'en prenant cette décision il n'avait pas porté atteinte à la liberté syndicale ou au droit de grève du requérant (CE, 23 septembre 1964, arrêt Lefrère).
En 1980, le secrétaire d'Etat à la jeunesse et aux sports refusait l'affectation demandée par un professeur d'éducation physique et sportive au motif "uniquement fondé sur les positions qu'aurait prises l'intéressé dans l'exercice normal d'un mandat syndical".
Le Conseil d'Etat annula le rejet de la demande de mutation, en considérant :
"qu'un tel motif, alors qu'il n'est pas allégué que M. Gueguen aurait manqué à l'obligation de réserve qui s'impose aux fonctionnaires, même investis d'une responsabilité syndicale, n'est pas au nombre de ceux qui peuvent être légalement retenus par l'administration pour décider de la suite à donner à une demande de mutation ".
(CE, 18 avril 1980, arrêt Gueguen)
Aussi, en application de ces considérations, la notation d'un fonctionnaire ne peut être abaissée pour des motifs qui tiennent à l'accomplissement de son activité syndicale, lorsque celle-ci a été régulièrement effectuée, en restant dans le cadre de la défense des intérêts professionnels et en se conciliant avec le respect de la discipline (obligation d'obéissance hiérarchique, obligations de neutralité et de réserve, obligations de secret et de discrétion professionnelle).
Mais, la notation peut être abaissée lorsque le fonctionnaire incriminé a transgressé les textes qui régissent l'exercice du droit syndical (CE, 9 novembre 1983, arrêt Saerens et autre).
Enfin, cela vaut également pour les agents non titulaires de l'administration.
Le Conseil d'Etat a ainsi annulé le licenciement prononcé par le ministre des armées d'un certain nombre d'agents contractuels de la manufacture d'armes de Tulle, après avoir constaté que l'administration ne formulait aucun grief précis à leur égard et qu'en conséquence, la seule véritable raison de ce licenciement semblait être l'appartenance de ces personnels au syndicat CGT de la manufacture (CE, 26 octobre 1960, arrêt Rioux et autres).
- Les protections prévues par la loi
La preuve que la décision de l’employeur a été dictée par l’appartenance syndicale du salarié, ou du fonctionnaire, est parfois difficile, voire délicate, à apporter.
C'est pour cela qu'une des conséquences de la liberté d'adhésion est que le salarié, ou le fonctionnaire, n'est en aucun cas obligé de révéler son affiliation syndicale à son employeur, sauf s'il souhaite bénéficier des droits attachés à cette affiliation.
C’est pour cela aussi que les cotisations syndicales ne peuvent pas être recouvrées par prélèvement direct, opéré par l’employeur sur le salaire ou le traitement du personnel.
L’article L. 2141-6 du code du travail énonce en effet :
"Il est interdit à l'employeur de prélever les cotisations syndicales sur les salaires de son personnel et de les payer au lieu et place de celui-ci".
Enfin, il convient de rappeler que, outre le fait que cette liberté de choix débouche sur le pluralisme syndical, elle ouvre aussi la possibilité d’adhésion simultanée à plusieurs syndicats, à la condition expresse cependant que les statuts d’une organisation syndicale n’interdisent pas cette double affiliation, car en droit, rien ne l’interdit (Cass. soc. 9 mai 1968).
La liberté de retrait
C'est un autre aspect de la liberté syndicale, en opposition avec la doctrine des corporations en France, ou avec celle en vigueur dans certains pays, dans lesquels l'adhésion à un syndicat est obligatoire.
Elle résulte à la fois du Préambule de la Constitution de 1946, édictant que :
"Tout homme peut ... adhérer au syndicat de son choix"
et du 1er alinéa de l’article L. 2141-3 du code du Travail qui énonce :
"Tout membre d’un syndicat professionnel peut s’en retirer à tout instant même en présence d'une clause contraire ".
Mais, le second alinéa de cet article prévoit aussi que dans ce cas :
"Le syndicat peut réclamer la cotisation correspondant aux six mois qui suivent le retrait d’adhésion ".
4.2.1.e - Les limites apportées au droit syndical
Malgré les fondements actuels (constitutionnel et international) du droit syndical, qui prévoient le droit syndical de manière générale, sans prévoir (comme pour le droit de grève par exemple) que la loi puisse lui apporter des restrictions, certaines catégories de fonctionnaires et d'agents publics de l'Etat se sont vues retirer ce droit par leur statut particulier (préfets et sous-préfets) ou leur statut général (militaires).
- Les préfets
Bien que relevant du Statut général des fonctionnaires, ils sont pourtant privés du droit syndical par l'article 15 de leur statut particulier, le décret n° 64-805 du 29 juillet 1964 modifié, qui précise que les dispositions de l'article 8 de la loi n° 83-634, portant droits et obligations des fonctionnaires, ne leur sont pas applicables.
Ils ont toutefois le droit de constituer des associations, régies par la loi du 1er juillet 1901. - Les sous-préfets
Comme les préfets, ils sont eux aussi privés du droit syndical par les dispositions de l'article 18 de leur statut particulier, le décretn° 64-260 du 14 mars 1964 modifié.
Mais ils peuvent, comme eux, créer des associations. - Les militaires
Bien qu’il y ait eu, dans le milieu des années soixante-dix, des tentatives pour créer des syndicats de soldats, le droit syndical est toujours interdit aux militaires puisque, comme la loi n° 72-662 du 13 juillet 1972 qu'elle a abrogée, la loi n° 2005-270 du 24 mars 2005, portant Statut général des militaires, stipule toujours en son article 6 (devenu l'article L. 4121-4 du code de la Défense) que :
"L'existence de groupements professionnels militaires à caractère syndical ainsi que l'adhésion des militaires en activité de service à des groupements professionnels sont incompatibles avec les règles de la discipline militaire."
Par ailleurs, contrairement aux préfets et au sous-préfets, les militaires ne disposent pas non plus du droit d'association.
Mais il est à noter qu'en 2005, comme en 1972, le Conseil constitutionnel n’a pas été saisi de la loi avant sa promulgation, et pour cause...
On peut en effet légitimement s’interroger sur la constitutionnalité de ces textes, puisque le préambule de la Constitution de 1946, auquel renvoie celui de la Constitution du 4 octobre 1958, proclame le droit syndical, sans prévoir que la loi puisse lui apporter des restrictions.
Et la jurisprudence du Conseil constitutionnel (notamment la décision 71-44-DC du 16 juillet 1971, JORF du 18 juillet) et du Conseil d'Etat (avec son arrêt société Eky du 12 février 1960) reconnaissent au préambule la même valeur juridique qu'au corps même de la Constitution. Alors...
Par ailleurs, l'article 55 de la Constitution du 4 octobre 1958 stipule que "les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, ..." et :
- la Convention n° 87 du 9 juillet 1948 de l’Organisation Internationale du Travail (OIT), en son article 2, ratifiée par la France le 28 juin 1952,
- la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en son article 11, ratifiée par la France en 1989,
- le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, en son article 8, ratifié par la France le 4 novembre 1980, proclament le droit syndical, même si ces textes prévoient aussi que l’exercice de ces droits peut faire l’objet de restrictions.
Alors, à quand le droit syndical pour les Préfets, les Sous-préfets et les militaires de carrière ou sous contrat, même si leurs statuts particuliers leur imposaient des sujétions renforcées, voire des obligations particulières ?
4.2.1.f - La difficulté d'imposer un droit
Il ne suffit pas de proclamer un droit pour qu’il existe concrètement dans les faits : il faut aussi prévoir des moyens, afin de pouvoir l'exercer.
Car de 1952, année de l’obtention du droit syndical, à 1974, année de la transposition de l'instruction de la FPE aux agents communaux, les textes relatifs à l'exercice de ce droit avaient une portée limitée et prévoyaient :
- le détachement auprès d'une OS (Code des communes art. R. 417-7 qui reprenait les dispositions de la loi du 19 octobre 1946 art. 97/5°, puis du décret n° 59-309 du 14 février art. 1er/6°) ;
- les autorisations spéciales d'absence (Code des communes art. L. 415-29 qui reprenait les dispositions de la loi du 19 octobre 1946 art. 88, puis du décret n° 59-309 art. 3) ;
- le congé d'éducation ouvrière (loi n° 57-821 du 23 juillet 1957).
Mais aucun de ces textes ne concernait l'exercice du droit syndical dans les enceintes des bâtiments communaux.
L'opposition à l'exercice du droit syndical
En effet, nonobstant la reconnaissance du droit syndical pour les fonctionnaires de l'Etat le 19 octobre 1946, et pour les agents publics communaux le 28 avril 1952, et les fondements juridiques de ce droit (à la fois constitutionnel, international et législatif), les administrations invoquaient toujours le principe de neutralité des services publics pour s’opposer farouchement à l’exercice du droit syndical dans les services de l'Etat, des départements voire des communes ; tandis que la majorité des employeurs du secteur privé continuait à être hostile à l’exercice de ce droit dans les entreprises, y voyant une atteinte au droit de propriété et, comme certains employeurs territoriaux ou hospitaliers, un risque pour leur pouvoir hiérarchique.
C’est à la suite des évènements de mai 1968 que le législateur a été amené à faire entrer, par la loi du 27 décembre 1968, l’exercice du droit syndical dans les entreprises.
Les fonctionnaires (de l'Etat) avaient, pour leur part, obtenu dans le relevé de conclusions du "Constat Oudinot" (signé le 2 juin 1968 par les sept organisations syndicales représentatives, dont les "Autonomes" de la FGAF) la constitution d'un groupe de travail chargé de fixer les modalités de l'exercice du droit syndical dans les administrations.
Les travaux difficiles, interrompus durant plusieurs mois en 1969, aboutirent cependant un an plus tard.
L'instruction de 1970 et sa transposition
La signature, par le Premier ministre Jacques Chaban-Delmas, de l'instruction n° 10383-SG du 14 septembre 1970 relative à l'exercice des droits syndicaux dans la Fonction publique (de l'Etat), reconnaissait que :
"les organisations syndicales constituent, vis-à-vis des pouvoirs publics, la voie naturelle de représentation des personnels de l'Etat... ".
"le dialogue entre l'administration et les représentants du personnel doit se poursuivre... à l'occasion de contacts directs entre les autorités hiérarchiques responsables, à tous les niveaux, et les délégués des fédérations représentatives de leurs syndicats... ".
Aussi, les facilités reconnues aux organisations syndicales du secteur privé, étaient étendues à la Fonction publique (de l’État), moyennant certains aménagements. Ainsi :
- Dans sa première partie, cette instruction prévoyait que "les organisations syndicales" pouvaient, à l'intérieur des bâtiments administratifs et sous certaines conditions, disposer de locaux, organiser des réunions, utiliser des tableaux d'affichage, distribuer leurs publications et collecter les cotisations.
- Dans sa seconde partie, elle traitait des autorisations spéciales d'absence, ainsi que des dispenses totales ou partielles pouvant être accordées aux représentants syndicaux, tout en continuant à être rémunérés par leur administration.
Ces avancées furent octroyées ou étendues en 1974 et 1976 :
- aux agents communaux, par une circulaire du ministre de l'Intérieur, en date du 6 mai 1974, qui indiquait aux maires les solutions qu'il était "souhaitable" de retenir (principe de la libre administration des communes oblige !) afin de permettre concrètement l'exercice du droit syndical par leurs agents ;
- aux agents départementaux, par une circulaire du ministre de l'Intérieur aux préfets, en date du 27 décembre 1976.
Ces textes ont depuis cédé la place en 1984 et 1985 :
- à un texte législatif, l'article 100 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984, pour les agents communaux et départementaux, devenus des fonctionnaires territoriaux, du fait du principe constitutionnel de la libre administration des collectivités territoriales et de leurs établissements publics,
- à deux décrets d'application, le décret n° 85-397 du 3 avril 1985, relatif à l'exercice du droit syndical, toujours en vigueur, qui ne présente que peu de différences avec les autres fonctions publiques, etle décret n° 85-447 du 23 avril 1985, relatif à la mise à disposition auprès d'une organisation syndicale.